Texte de Chantal Pacteau, Secrétaire générale adjointe du SNCS-FSU

SNCS-HEBDO 11 n°07 du 19 avril 2011

Dans l’élan de la financiarisation générale, voici le « G8 des universités » où, pour en finir avec ces dangereux utopistes que sont les tenants d’une transmission du savoir libre et gratuite, doivent se dessiner les règles européennes de l’« économie de la connaissance ». Il se déroule cette année en Bourgogne et en Franche-Comté. Contre cette vision pétrifiante de l’université et de la science, avec l’Appel à un contre-G8 de l’éducation et de la recherche, le SNCS participera aux rencontres et manifestations prévues à Dijon du 5 au 7 mai. Car cette entreprise d’enfermement des savoirs et de stérilisation des intelligences commence à nous faire fortement monter la moutarde au nez !

Parmi les incessants témoignages de sollicitude dont le monde académique est devenu l’objet, figure, depuis 2008, le « G8 des universités ». Objectif : donner des « recommandations » aux gouvernants des pays du G8 en matière d’enseignement supérieur et de recherche (ESR). Devrions-nous nous en réjouir ? Mais qui recommande ? Qui parle de l’ESR que nous voulons ? En fait, ce G8 des universités, désormais rebaptisé « Sommet mondial des universités », est le signe de la mainmise toujours plus autoritaire des gouvernements des G8 et G20 – espaces d’organisation et de légitimation des politiques néolibérales – sur les organismes d’ESR qu’ils s’acharnent à vouloir faire fonctionner comme des entreprises. En bref, il participe de l’enfermement de tous les échanges intellectuels dans le modèle unique de « l’économie de la connaissance ».

Cette année, présidence française du G8 oblige, le 4e G8 des universités

(volet éducation et recherche du G8-G20 qui aura lieu à Cannes en

novembre) se déroule en Bourgogne et en Franche-Comté. La Conférence des présidents d’universités, en lien étroit avec le Pôle de recherche et

d’enseignement supérieur local, l’organise en deux temps. Un Sommet des

étudiants (Université de Franche-Comté, Besançon, 28 au 30 avril) et un

Sommet des recteurs et présidents (Université de Bourgogne, Dijon, 5 au

7 mai), sur le thème « Développement durable et société de la connaissance : quelle structuration et coopération pour les universités

du XXIe siècle ? ».

Que vient faire le développement durable (DD) là-dedans ? Dès le début,

les G8-Universités se sont placés sous cette bannière consensuelle et

prennent soin de ne pas utiliser les mots qui fâchent. On s’est retenu

d’afficher « Concurrence et excellence, les deux mamelles de l’ESR »,

mais il y a des ratés, ainsi « les universités permettront de créer la

nouvelle génération de dirigeants : des individus exceptionnels capables

de relever les défis au niveau mondial et d’entretenir des sociétés

durables et saines ».

Cette année, outre le DD, la novlangue a convoqué l’éthique et la

morale, ce qui donne dans le dossier de presse du Sommet : « De par des

liens plus étroits avec l’univers socio-économique, de nouvelles

responsabilités académiques, éthiques et morales, viennent enrichir le

rôle et l’action de l’université, propices à bâtir les fondations de la

construction d’une société de la connaissance en harmonie avec un DD

nécessaire ». Ah, la vieille image des universitaires irresponsables !

Au vu du programme, notre expérience nous fait redouter le pire.

Et la démocratie des débats ? Mais même avec la meilleure volonté du

monde, impossible de se départir de son mauvais esprit : à Besançon sont

pressentis 12 délégués étudiants sélectionnés, certainement des

individus exceptionnels en gestation repérés par les individus

exceptionnels matures que sont les dirigeants de nos exceptionnelles

instances académiques. Dans la liste des experts, nous découvrons, pour

la France, le nom de l’ancien directeur de cabinet de Valérie Pécresse.

C’est sans doute le DD qui pousse au recyclage… du personnel de cabinet.

Puisque les véritables acteurs de l’ESR n’ont pas été invités à débattre

des enjeux et défis qui les concernent, puisque l’on continue à vouloir

notre bien malgré nous, un contre-G8 de l’éducation et de la recherche

est organisé en parallèle au Sommet mondial des universités. À Dijon, ce

seront trois jours de rencontres et de réflexions qui se termineront par

une manifestation unitaire le 7 mai. Ce contre-sommet fera écho aux

luttes en cours contre les politiques de marchandisation du savoir qui

ont lieu en Autriche, Espagne, France, Grande-Bretagne, Grèce, Italie,

Portugal, Suisse, etc., selon des formes et dans des contextes

historiques très différents.

Ces trois jours seront l’occasion de rencontres, d’échanges de pratiques

et de réflexions sur des questions théoriques, de la précarité et de

l’indépendance scientifique au service public et à la mobilité en

passant par la déconstruction de concepts mortifères tels que ceux

d’excellence et de concurrence. Le séminaire « Politiques des sciences »

de l’École des hautes études en sciences sociales sera délocalisé à

Dijon pour l’occasion.

Carrefour international, ce contre-G8 se veut un moment fédérateur pour

la reconstruction d’un système éducatif et de recherche « hors commerce
». Il y aura du dissensus, et c’est tant mieux ! C’est en mêlant nos

voix plurielles que nous participerons à la construction de l’université

et de la recherche que nous voulons : « Un immense enseignement public

donné […] Les portes de la science toutes grandes ouvertes à toutes

les intelligences !* » Et à bas les mercantis.

* Discours de Victor Hugo à l’Assemblée législative le 15 janvier 1850.