Retraites : et les femmes ?

Le débat sur les retraites est l’occasion d’un gros plan sur les discriminations dont les femmes sont victimes. Les différences de carrières les pénalisent, mais également le "travail invisible" (selon une expression du Laboratoire de l’égalité), travail domestique et familial qu’elles assument encore à 80 %.



Une situation fortement inégalitaire


En 2004, les femmes ont perçu un montant moyen de retraite égal à 62 % de celui des hommes (1020 € contre 1636 €), c’est-à-dire à peine les deux tiers. En outre, sans les dispositifs conjugaux et familiaux dont elles bénéficient, leur pension ne représente même pas la moitié (48 %) de celle des hommes. Cette situation est due à des différences dans le déroulement des carrières professionnelles : périodes d’inactivité ou d’interruptions d’activité liées à l’éducation des enfants, exercice d’une activité à temps partiel subi ou choisi, inégalités salariales et moindre progression professionnelle. L’arrivée d’un premier enfant marque souvent un tournant dans l’activité des femmes, soit par un renoncement à « faire carrière », soit par un renoncement à l’activité tout entière. Plus la situation de la femme est fragile (faible qualification, emploi précaire), plus ce renoncement s’opère. En revanche, l’arrivée d’un enfant n’affecte pas les carrières des hommes. On assiste donc à un renforcement de la spécialisation à l’intérieur du couple, les femmes endossant les responsabilités familiales, les hommes les responsabilités professionnelles.

En 2004 toujours, moins de la moitié des femmes retraitées a eu une carrière complète. Cela retentit sur le montant des retraites versées : les bénéficiaires du « minimum vieillesse » restent majoritairement des femmes. Parallèlement, elles sont aussi très concernées par le minimum contributif, versé aux assuré-e-s bénéficiant d’une retraite à taux plein, mais ayant cotisé sur la base de salaires modestes (les deux tiers des salarié-e-s à bas salaire sont des femmes).

Même en tenant compte des droits dérivés et des mécanismes de compensation que constituent les droits familiaux et conjugaux, les retraites servies aux femmes restent, en moyenne, inférieures à celles des hommes. De plus, avec l’évolution de la conjugalité, on voit un nombre croissant de retraité-e-s vivre seul-e-s ; cela concourt également à leur paupérisation, notamment en ce qui concerne les femmes.

Le rapport parlementaire de la délégation aux droits des femmes (références en fin d’article) recommande que « les mesures de compensation des aléas de carrière, et particulièrement celles liées à l’éducation des enfants, doivent être préservées et adaptées, mais la constitution de droits directs par les femmes doit être privilégiée. (…) Il est indispensable d’agir sur la réduction des inégalités entre les hommes et les femmes pendant la vie professionnelle. » Il faudrait déjà rouvrir les débats sur les sanctions aux entreprises, le congé parental, et le service public de la petite enfance !

Une évolution favorable aux femmes ?

On entend affirmer que les écarts de salaires et de durées de cotisation entre hommes et femmes seraient en voie de réduction. Certes, on progresse, mais on est loin de l’égalité, et cette réduction n’a rien d’immédiat. Prenons les salaires : depuis les années quatre-vingt-dix, les écarts salariaux ne diminuent plus. Ils s’établissent toujours autour de 19 % en moyenne. Quant à la durée de cotisation, la progression s’est heurtée à l’augmentation du travail à temps partiel et au chômage, qui sont venus annuler les effets de la hausse du taux d’activité féminin. Les écarts ne se résorbent donc que très lentement. Selon les projections effectuées à la demande du COR, pour les générations de 1965 à 1974, les pensions des femmes ne représenteraient encore que 63 % de celles des hommes… Et la génération de 1980, pour laquelle l’écart pourrait être de cinq trimestres en faveur des femmes, arrivera à 60 ans en… 2040, soit dans 30 ans ! Car, si les femmes sont bien plus nombreuses à travailler qu’il y a 50 ans, elles le font dans un contexte de grande précarité et d’interruptions répétées de carrière, et les femmes de la génération 1970 devraient connaître le même déroulement de carrière que les femmes nées dans les générations 1950.

De toute façon, il faut adopter des mesures correctrices ayant des effets immédiats pour traiter la situation des femmes qui vont liquider leurs droits à la retraite dans les cinq à dix ans qui viennent et qui vont subir les conséquences d’une situation passée.

Le débat sur la pénibilité

Si l’on vous dit pénibilité, à quoi, à qui pensez-vous ? Au maçon, au manutentionnaire, au soudeur, à l’ouvrier du BTP ? Et les troubles musculo-squelettiques des caissières, et les vapeurs toxiques inspirées par les câbleuses, ou les coiffeuses, et les douleurs lombaires des aides-soignantes ? E pourtant les emplois majoritairement féminins peuvent se caractériser par un travail répétitif, à la chaîne, avec des postures contraignantes, ou exigeant une station debout ou un travail permanent sur écran, ou encore en relation constante avec le public, ou un travail morcelé et comportant des interruptions… Les femmes sont également plus exposées aux risques organisationnels et psychosociaux. Quant au travail domestique… s’il ne comportait pas une dose certaine de pénibilité, il serait sans doute mieux partagé, non ? En fait, la définition habituelle de la pénibilité vient du monde industriel, et influe sur nos représentations. Les conditions de travail des femmes sont souvent moins visibles et objectivées que celles des hommes, et pourtant marquées aussi par la pénibilité physique ou mentale. Les syndicats doivent être vigilants, dans leur revendication d’une liste de métiers pénibles, que celle-ci ne se limite pas aux métiers dits « lourds ».

Un projet qui renforce les inégalités

Ce sont les femmes qui vont devoir travailler jusqu’à 67 ans ou qui partiront avec des retraites incomplètes. Déjà actuellement, l’âge moyen de départ en retraite des femmes est plus élevé que celui des hommes. Le cumul emploi-retraite est impossible pour ceux qui sont le plus dans le besoin, notamment les femmes, parce qu’il concerne les personnes qui disposent de droits propres à la retraite, et non de droits dérivés. Les dispositifs de solidarité -droits familiaux et conjugaux- se révèlent indispensables, tout en restant insuffisants pour compenser les inégalités. Mais ils ont déjà été réduits par la réforme de 2003 et ils continuent d’être mis en cause… au nom de l’égalité entre les

femmes et les hommes !

Saisine de la HALDE

Plusieurs parlementaires de gauche, soutenu-e-s par des associations et des syndicats, viennent de saisir la Haute Autorité de Lutte contre les Discriminations et pour l’Égalité. Selon eux, la réforme des retraites ne fera qu’aggraver ces inégalités. « L’allongement de la durée de cotisations est à l’œuvre depuis 1993 avec la réforme Fillon et est déjà discriminatoire. Les femmes subissent davantage que les hommes le système de décote des pensions. Ce sont des mesures qui pénalisent de manière disproportionnée une catégorie de la population », déplore Christiane Marty, de l’association Attac. La Halde elle-même le reconnaît : « Ces disparités résultent des discriminations liées à l’état de grossesse et au sexe dont les femmes sont victimes et qui impliquent qu’elles sont davantage pénalisées par des carrières interrompues, des temps partiels et des salaires moins importants », écrit sa présidente, Jeannette Bougrab, qui a pris l’initiative d’auto-saisir la haute autorité sur la question, début juillet. En France, comme en Allemagne, en Italie ou en Suède, où sont mises en œuvre le même type de réforme, « c’est aux femmes que les réformes demanderont potentiellement l’effort le plus important en termes d’allongement de durée d’activité, et c’est également sur elles que pèsent les risques les plus élevés en termes de niveau de vie », assènent les économistes Odile Chagny et Paola Monperrus-Veroni.

Cécile Ropiteaux

Sources : Rapport d’information fait au nom de la délégation aux droits des femmes et à l’égalité des chances entre les hommes et les femmes sur le projet de loi portant réforme des retraites,

par Mme Marie-Jo Zimmermann (députée UMP) – 13 juillet 2010 :

http://www.assemblee-nationale.fr/13/pdf/rap-info/i2762.pdf

Fondation Copernic : Retraite des femmes : le mensonge comme seul argument, tribune parue dans Le Monde du 17 septembre 2010 :

http://www.fondation-copernic.org/spip.php?article364