« C’est négatif pour ceux qui recherchent des emplois d’être à côté de personnes qui ne cherchent pas d’emploi, donc je demande à Pôle emploi de renforcer les contrôles », nous dit le ministre du travail, ce qui laisse supposer que derrière tout demandeur d’emploi il y a un fraudeur en puissance.
Conseiller emploi depuis 13 années, je n’ai jamais eu face à moi une fraudeuse ou un fraudeur avéré. Il m’est arrivé et m’arrive encore de recevoir des personnes en dette avec Pôle Emploi, mais on est loin du portrait du dangereux fraudeur, professionnel de la duperie nationale ! Il s’agit dans la plupart des cas de déclarations inexactes lors de l’actualisation comme par exemple un mauvais décompte des heures travaillées ce qui entraîne un trop perçu* (allocations chômages versées trop importantes par rapport au salaire reçu). Les demandeuses et demandeurs d’emploi que j’ai reçus étaient dans ce cas, soit d’excellent-es comédien-nes (qui devraient relever du régime de l’intermittence !!!) soit des personnes perdues face aux démarches administratives ; je penche plutôt pour la deuxième proposition. Des exemples anciens ou récents ont montré qu’il n’y avait pas que les demandeurs d’emploi qui avaient des soucis pour faire leurs déclarations, certains ministres ont eu des moments d’égarements pour des montants sans nul doute bien supérieur à celui de l’agent-e d’entretien déclarant 56h de travail au lieu de 70h sur le mois écoulé.
Question méthode, M Rebsamen évoque « des convocations, des vérifications ». Sur le département, il y a 401 agent-es Pôle Emploi mais ce sont seulement environ 200 conseiller-es qui potentiellement peuvent recevoir les Demandeurs d’Emplois dans le cadre des portefeuilles d’accompagnement et donc des convocations. En effet, les services de la Direction régionale (122 personnes), les agences et plateformes spécifiques (conseiller-es dédiés au 3949, au suivi des prestations,…), les personnels d’encadrement (directeurs et directrices d’agences, responsables d’équipe de production) ne sont pas amenés à recevoir du public ou alors de manière occasionnelle. En Côte-d’Or, pour le mois de juillet 2014, il y avait 39274 Demandeurs d’emplois inscrits en catégorie ABC1 . Donc basiquement, un-e conseiller-e aurait en moyenne 196 DE dans son portefeuille (39274/200 = 196,37). La semaine de l’agent-e est constituée de 9 ½ journées opérationnelles. Sur une ½ journée, prenons le postulat qu’un-e conseiller-e convoque toutes les 20 minutes, on arrive à une moyenne de 10 personnes reçues. Il-elle a donc besoin d’une vingtaine de ½ journées pour recevoir l’ensemble des DE de son portefeuille, soit plus de 3 semaines. Autant dire que si on en revient au temps du suivi mensuel personnalisé, les conseillers-es ne feront que recevoir les DE au détriment d’autres actes professionnels tels que la relation entreprise qui semble-t-il est essentielle pour pouvoir placer ces personnes.
Actuellement, sur le planning, un-e conseiller-e a en moyenne par semaine 2 voire 3 plages dédiées à la gestion de portefeuilles, le temps restant étant réparti sur l’inscription, l’accueil, le service aux entreprises, les actes administratifs notamment ceux liés à la convocation… Pour convoquer l’ensemble de ses DE, il lui faudra donc 2 à 3 mois.
J’en arrête là pour cet exercice de style qui, pourrait on me rétorquer, ne tient pas compte de toutes les réalités. Il y a 4 modalités d’accompagnement selon l’autonomie du demandeur ou de la demandeuse avec des tailles de portefeuilles associés différentes, sur les 39274 DE de juillet, certains ont exercé une activité réduite (+/- 78h/mois) et ne sont pas concernés par les convocations… Mais un constat s’impose, si la volonté du Ministre est que l’on accentue les convocations sans discriminer (ne convoquer que les DE indemnisés ce qui réduirait la « masse », 1/3 des inscrits), il va falloir embaucher. Pôle Emploi participerait ainsi directement à l’inversion de la courbe du chômage !!!
Pour en terminer, rappelons que la fraude à Pôle Emploi représentait moins de 1% des fraudes en France avec 39 millions d’euros constatés pour l’année 2012. A l’époque le grand gagnant était… la fraude fiscale avec 3,66 milliards d’euros. Alors, en temps de crise, est-il plus bénéfique de faire la chasse aux demandeurs d’emploi ou d’accentuer la pression pour que les euros dépensés dans le cadre des Pacte de Compétitivité et de Responsabilité se traduisent en emplois sonnants et trébuchants ?
F Chambarlhac
1- DEMANDEURS D’EMPLOI INSCRITS ET OFFRES COLLECTÉES PAR PÔLE EMPLOI EN BOURGOGNE EN JUILLET 2014, note DIRECCTE Bourgogne-Pôle Emploi