Rapport Bockel : une abomination de plus !
Décidément, les ministres transfuges du PS ont effectué des virages à droite bien radicaux ! A croire qu’ils redoublent d’ardeur pour faire leurs preuves et coller aux orientations sarkozystes dans ce qu’elles ont de plus nauséabond… Après Besson et son projet de « loi de la honte », voici le rapport sur la prévention de la délinquance de l’ex-secrétaire d’État à la justice Jean-Marie Bockel.
On y retrouve pêle-mêle :
L’idéologie de l’éducation par la sanction, par l’autorité retrouvée du père = LE chef de famille, par la contrainte ou l’exemplarité individuelle. Les mères sont dévalorisées, leur rôle est souvent présenté négativement (surprotectrices et/ou limitant l’influence du père).
La culpabilisation des familles monoparentales : les mères célibataires sont accusées dans le rapport d’être laxistes avec leurs enfants, voire de changer fréquemment de conjoint ! La référence à l’ordre moral n’est pas loin…
Les poursuites pénales pour les parents défaillants
La stigmatisation des familles issues de l’immigration, et plus particulièrement des communautés du Maghreb ou d’Afrique noire
La stigmatisation de l’Islam, dont on laisse entendre que la pratique serait incompatible avec la République,
Le mythe des zones de non-droit que seraient les quartiers populaires
L’idée d’un "repérage précoce" des troubles du comportement chez l’enfant, dépistage déjà prôné par Benisti en 2003
En bref, de nombreux thèmes récurrents de l’extrême-droite… !
Méthode ?
Ce texte n’est en fait qu’une suite de lieux communs, d’interprétations contestables (et contestées par des études sociologiques !), sans rigueur scientifique, sans analyse des origines et des causes des difficultés des familles et des jeunes, sans bilan des politiques menées, ni des « bonnes pratiques » qu’il met en avant. Les « grands témoins » auditionné-e-s ont été soigneusement trié-e-s sur le volet parmi les partisans de la répression et du tout-sécuritaire : Jacques-Alain Bénisti, Alain Bauer, Eric Ciotti, Nadine Morano, Xavier Lemoine (arrêté « anti-bandes »), Hugues Lagrange, Étienne Apaire, Louis Nègre (proche de Christian Estrosi), Brice Hortefeux, Sébastien Roché, sociologue qui se définit comme « l’anti-Mucchielli »… Ou alors ils ne sont pas interrogés sur leurs travaux qui ne correspondent pas aux conclusions du rapport, comme les pédopsychiatres Philippe Jeammet et Marcel Rufo. Plus globalement, le rapport se caractérise par l’absence totale d’expertise contradictoire !
On pourrait presque rire devant le ridicule de l’intitulé de certains paragraphes : « LE jeune, une catégorie difficile à cerner », mais cela ne fait que confirmer le manque de rigueur du propos.
Parentalité :
La grande solution du rapport Bockel, c’est restaurer l’autorité paternelle, oui, vous avez bien lu, il ne s’agit pas de l’autorité parentale, mais paternelle ! Bockel regrette la disparition du concept de puissance paternelle (loi de 1970) et l’apparition de l’autorité conjointe, forcément « diluée » ! La définition légale de l’autorité est même contestée par le rédacteur, qui ne semble pas apprécier la notion de négociation contenue dans le code civil, ni celle de démocratie familiale : on croit rêver ! Là encore, c’est sans doute pour imiter la voix de son maître et « se débarrasser de l’héritage de mai 68 » ! Le travail des femmes aurait contribué à réduire l’influence des hommes dans la vie familiale. Bizarre, on pourrait au contraire penser que cela leur aurait laissé davantage de place !
Quant aux familles monoparentales, laissons plutôt la parole à Laurent Mucchielli : « Dans la plupart des pays occidentaux, le thème de la dissolution et de la crise de la famille constitue l’un des archétypes majeurs de la peur des élites devant l’évolution des sociétés modernes (…) depuis les années 1980 de nombreux auteurs de statuts divers (médecins, cliniciens, essayistes, journalistes) s’interrogent de façon plus inquiète sur les conséquences de ces changements, en mettant en avant non plus le statut et la condition des mères mais ceux des pères. ». Ce qui est en fait le plus déterminant, ce n’est pas la structure, mais le climat familial ; il faut abandonner l’idée d’une influence des formes de la famille, pour s’intéresser à la qualité des relations inter-individuelles au sein de la famille, que cette dernière soit ou non complète. Ces résultats constituent un véritable consensus criminologique international depuis les années 1990.
Délinquance :
Le rapport réintroduit l’idée d’un dépistage précoce des troubles du comportement, comme si les enfants en difficulté à 3 ans devenaient systématiquement des adolescents délinquants. Cet amalgame avait déjà été dénoncé en 2007 par le Comité Consultatif National d’Éthique, qui reprochait au rapport Benisti la confusion entretenue entre délinquance et troubles médicaux, entre prévention et prédiction, ainsi que la méconnaissance de toute une série de travaux importants prenant en compte les facteurs environnementaux. Le CCNE rappelait aussi qu’un très jeune enfant qui présente des problèmes de comportement doit d’abord être considéré comme un enfant en souffrance et en danger, qu’il faut accompagner, et non pas comme un enfant potentiellement dangereux -un futur délinquant- dont il faudrait protéger la société. Le rapport Bockel bafoue donc le principe d’éducabilité, puisqu’il prétend que tout serait joué à 3 ans, voire plus tôt encore. L’éducation n’est vue que d’un point de vue coercitif.
Et quand on se prend à espérer une proposition constructive en matière de travail social à l’école, on déchante bien vite : là où on attendait le mot prévention, on tombe sur « détection »…
En matière de délinquance, le rapport reprend tous les clichés qui alimentent le débat médiatico-politique depuis le début des années 1990, et notamment l’idée que les délinquants sont de plus en plus jeunes, ou que la violence des filles « exploserait », quand bien même ces idées fausses sont en contradiction flagrante avec des études scientifiques, statistiques et/ou sociologiques. Notons aussi l’emploi d’un vocabulaire guerrier, il faut « reconquérir l’espace public », et la référence implicite au mythe sécuritaire des « zones de non-droit ».
Culturalisme :
La délinquance et l’échec scolaire sont sans cesse reliés à l’origine étrangère, à la mauvaise maîtrise de la langue, à la méconnaissance des principes républicains, voire à la religion -islamique, bien sûr. On ethnicise les problèmes, on fournit des pseudo-explications basées sur des préjugés racistes et des généralisations « culturelles ». Comme si la délinquance n’avait lieu que dans les quartiers populaires et les familles d’origine étrangère !
Citons ici Eric Fassin et sa dénonciation des « fausses évidences du culturalisme » qui fleurissent, « tant est forte la tentation de mettre les inégalités sociales sur le compte de différences culturelles – du moins lorsqu’elles affectent des immigrés ou des minorités. (…) Dénoncer le "déni des cultures" pour expliquer les problèmes sociaux par "l’origine culturelle", comme le fait Hugues Lagrange, c’est donc bien contribuer au déni des discriminations. »
Dans des passages teintés d’une islamophobie à peine latente, Bockel dénonce le « rétablissement d’un ordre masculin » que voudrait imposer « un certain islam », alors que lui-même exalte l’autorité paternelle quelques pages auparavant !!! Ou encore, il pointe l’hostilité du fondamentalisme musulman à « la nation républicaine et la laïcité », puis préconise un peu plus loin de « valoriser la culture française, dans l’ensemble de ses aspects, civils ou religieux. » !…
Et les causes sociales ?
Avec Bockel, rien n’est dit non plus sur les conditions de vie des familles, sur les causes sociales de la délinquance, la précarité, les conditions de travail des parents.
Citons encore Laurent Mucchielli : « C’est bien la misère et la grande précarité qui ont des conséquences sociales et psychologiques graves sur les individus » et « qui conditionnent dès lors la qualité du contrôle parental face au risque d’entrée dans la délinquance chez les pré-adolescents, risque que l’on sait particulièrement fort dans certains contextes urbains. »
Et que dire des incidences des journées de travail « désynchronisées », qui concerneraient une famille sur quatre ? Loin d’être un choix, la désynchronisation est imposée, surtout aux salariés peu qualifiés, résultat des politiques successives de dérégulation du temps de travail menées depuis les années 1970. Selon le sociologue Laurent Lesnard, la sociabilité familiale est alors en jeu, au risque d’une complète désarticulation. Subie et reflétant les inégalités individuelles en matière d’horaires de travail, la désynchronisation est aussi une nouvelle forme d’inégalité pour les couples, et un facteur supplémentaire de fragilité pour les familles. Mais là, on est bien loin des préoccupations du rapporteur Bockel…
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En fait de politique ambitieuse pour la jeunesse, la mission propose une liste de recettes, souvent individuelles ou marginales. Quant aux moyens nécessaire, le rapport fait plusieurs fois référence à des mesures « simples et peu coûteuses » et encourage même au bénévolat !
Concernant l’école, elle aurait pour rôle de « restaurer la citoyenneté », en combattant l’absentéisme, le décrochage scolaire, et les violences ; cela passerait notamment par une formation des enseignant-e-s aux explications culturalistes (!) et par un renforcement des liens entre l’école et la police, mais aussi la remise à l’honneur de la distribution des prix… Et quand une proposition paraît intéressante, comme celle qui préconise de « développer dès l’école primaire des programmes de prévention des comportements violents et discriminatoires », elle est tellement noyée au milieu de considérations xénophobes et ultra-sécuritaires qu’on se prend à être méfiant.
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On se souvient que le candidat Sarkozy avait articulé sa campagne en 2007 autour de la valeur travail. Avec le débat sur l’identité nationale, on a dangereusement flirté avec la notion de patrie. Revoici maintenant la famille ! Mais pas n’importe quelle famille, la famille traditionnelle, bien blanche, plutôt chrétienne (autour d’un couple hétérosexuel, cela va sans dire !), menée d’une main de fer par LE chef de famille. Notre société est décidément bien malade… et ses symptômes ne nous sont malheureusement pas inconnus.
Pour en savoir plus :
2007 : Avis du Comité Consultatif d’Éthique sur le rapport Benisti
http://www.ccne-ethique.fr/docs/fr/avis095.pdf
Mucchielli : Monoparentalité, divorce et délinquance juvénile
http://www.laurent-mucchielli.org/public/Monoparentalite__divorce_et_delinquance_juvenile.pdf
Mucchielli : Les filles ne sont pas plus violentes qu’avant
http://www.rue89.com/node/169664
Mucchielli sur Bauer : expertise ou supercherie ?
http://laurent.mucchielli.free.fr/supercherie.htm
Eric et Didier Fassin : Misère du culturalisme
http://www.mediapart.fr/club/blog/eric-fassin/300910/la-culture-du-deni
Didier Fassin : En France, les frontières sociales et raciales sont à l’œuvre
http://quartierspop.over-blog.fr/article-les-frontieres-sociales-et-raciales-sont-a-l-oeuvre-58073450.html
Laurent Lesnard : Familles désynchronisées
http://www.scienceshumaines.com/la-famille-a-contretemps_fr_25023.html
Annexes – citations :
Xavier Lemoine : arrêté anti-bandes « Quand la France renie sa propre histoire et passe son temps à s’excuser de l’esclavage, de ses conquêtes et du colonialisme, faut-il s’étonner que les immigrés relèvent la tête, qu’ils s’en prennent à la France, et qu’ils ne la respectent pas ? Malheureusement, la France ne leur a pas demandé de changer. Elle les autorise à parler arabe, et à cultiver leur héritage, aux dépens de la culture française. »
A propos d’Alain Bauer : « Les publications signées par M. Bauer sont contestées par tous les spécialistes reconnus, psychiatres, psychologues, juristes et sociologues de la déviance et des questions pénales. La liste des critiques est saisissante. » Ils étayent leur affirmation en établissant une liste d’erreurs méthodologiques (…).
Laurent Lesnard : « 23 % des couples ont aujourd’hui des journées de travail fortement désynchronisées. Les incidences sur la vie de famille amènent le sociologue Laurent Lesnard à parler de familles désarticulées. La sociabilité familiale est alors en jeu, au risque d’une complète désarticulation. Les politiques successives de dérégulation du temps de travail menées depuis les années 1970 apparaissent à cet égard déterminantes et offrent aux entreprises une souplesse de plus en plus grande dans la gestion des salariés. Cumulées, ces réformes leur permettent d’organiser la durée et les plages horaires de travail de leurs salariés en fonction de leurs besoins. En particulier, elles permettent aux entreprises du secteur des services de ne recourir à leurs salariés qu’aux heures d’affluence qui sont le plus souvent situées aux marges de la journée de travail standard. Les différentes formes de journées de travail conjugales ne résultent pas des choix des conjoints. Elles découlent des horaires de travail imposés par leurs employeurs. Ceux qui ont la possibilité d’organiser librement leurs horaires de travail ne représentent qu’un couple sur dix. Loin d’être un choix, la désynchronisation est imposée individuellement aux salariés peu qualifiés. Subie et reflétant les inégalités individuelles en matière d’horaires de travail, la désynchronisation est aussi une nouvelle forme d’inégalité pour les couples. »